1- La consommation collaborative : un phénomène qui bouleverse l’ordre établi
Le CtoC (Consumer to Consumer) ou consommation collaborative, au sens où on l’entend aujourd’hui, consiste à prêter, louer, donner, ou échanger des biens ou des services via les technologies et les communautés de pairs.1
La consommation collaborative n’est pas un phénomène nouveau en soi, mais elle a pris un essor considérable avec internet et la possibilité de se connecter à des milliards d’individus que l’on ne connait pas : le troc jadis pratiqué dans les villages devient désormais à portée de clic à une échelle mondiale, avec des moyens qui n’avaient jamais été techniquement imaginables auparavant.
Près d’un français sur deux est adepte de la consommation “collaborative” : 48% d’entre eux la pratiquent régulièrement, à travers la revente d’objets, le covoiturage, l’auto-partage, le troc ou encore la colocation, [selon un sondage TNS Sofres pour le groupe La Poste].
De nombreux secteurs de l’économie sont concernés : on pense immédiatement aux Taxis avec Uber, mais d’autres secteurs en ont fait l’expérience, comme le souligne Marc-Arthur Gauthey (entrepreneur et animateur du think tank OuiShare en France) dans un article publié dans les Echos :
«l’industrie culturelle [s’est] fait « naspteriser », « youtubiser » et finalement « netflixiser » il y a bien longtemps. Le monde de l’édition, puis à peu près toute la distribution, [s’est] fait « amazoniser » […]. La presse [s’est] fait « googliser » […], l’industrie de la connaissance [a] été « wikipédiée ». La SNCF, [se fait] « BlaBlaCariser » […]. Quant à l’hôtellerie, disons-le, [elle se fait] « airbnbiser » !
Ce phénomène à la fois culturel et économique est en train de transformer profondément les relations commerciales classiques et même les modes de vie : 8 Français sur 10 pratiquent ou ont l’intention de pratiquer cette façon de consommer.
Nous sommes passés d’un 20ème siècle d’hyperconsommation placé sous le double signe du crédit et de la publicité, à un 21ème siècle de connexions entre individus au sein d’une communauté élargie aux dimensions d’Internet et d’accès gratuit (ou à bas coût) à de nombreux services et produits.
Les nouvelles plateformes de mise à disposition des produits et services modifient à la fois ce que nous consommons, et la façon dont nous consommons : la consommation collaborative supprime dans bien des cas l’intermédiation (disparition du distributeur traditionnel) et provoque un déplacement de valeur de la possession vers l’usage, et du distributeur vers le producteur.
Une évolution majoritairement considérée comme favorable aux consommateurs, qui plébiscitent ce nouveau mode d’accès aux biens et services pour différentes raisons.
2- Les raisons du succès de ces nouveaux modèles
Pour les entreprises qui observent ce phénomène avec beaucoup d’intérêt, et parfois aussi avec une certaine appréhension (en témoigne la vague de panique au sein du CAC 40 après l’intervention de Maurice Lévy, PDG de Publicis, en décembre dernier au sujet de la « peur de se faire uberiser »), il est utile de se pencher sur les raisons du succès de la consommation collaborative. Au nombre desquelles on peut compter :
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- La maturité des consommateurs, tout d’abord : conscients de la part importante liée au distributeur, à la marque et à leurs dispositifs commerciaux et marketing dans le prix des produits, ils ne souhaitent plus avoir à payer pour ce qui leur semble superflu.
- Une motivation économique : payer moins cher (en réservant une chambre chez l’habitant plutôt qu’une chambre d’hôtel, par exemple) ou générer de nouveaux revenus (en revendant des objets d’occasion sur le Bon Coin) est devenu central.
- Une motivation d’ordre éthique : la conscience de l’impact environnemental et social de nos modes de consommation entre en jeu. Donner une seconde vie aux objets ou consommer local, c’est limiter son empreinte écologique et maintenir l’emploi près de chez soi.
Dans le cas d’Uber, on pourrait penser que seule la motivation économique entre en ligne de compte (et que le souci de “l’impact social” de nos modes de consommation plaide quant à lui plutôt en sa défaveur), mais il ne faut pas éluder un autre élément essentiel, qui « gêne » souvent les entreprises (ou les chauffeurs de taxis) aux entournures :
L’essor de la consommation collaborative traduit aussi une forme de déception et de lassitude des consommateurs vis-à-vis des acteurs “historiquement en place” et de l’expérience que ces derniers leur font vivre.
Trop occupées à produire toujours plus et toujours moins cher, à « pousser » leurs nouveaux produits à grand coup d’opérations marketing et de changement de packaging, les marques de référence ont (parfois) peut-être oublié l’essentiel : le sens du client !
Lassés de l’ « idéal standard » asséné depuis plusieurs décennies par les chaînes de restauration rapide, d’hôtellerie ou d’ameublement, certains segments de consommateurs menacent de délaisser les marques « historiques » au profit d’expériences plus humaines, plus individualisées et, disons-le aussi, tout simplement nouvelles et plus fun !
Mais les marques « historiques » ont-elles pour autant perdu d’avance face aux nouveaux entrants.
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3- L’Expérience client, le meilleur remède à l’ « uberisation » des entreprises !
Beaucoup de grandes entreprises sont aujourd’hui tentées de s’ « auto-uberiser » pour garder la main : lancement de plateformes de location/vente entre particuliers, ouverture de rayons « occasion » au sein de leurs magasins… Une stratégie essentiellement destinée à barrer la route, à court terme, à de nouveaux concurrents potentiels, mais dont le modèle économique doit encore faire ses preuves.
A long terme, la stratégie payante pour les entreprises sera de bien identifier où se situe leur proposition de valeur aux yeux de leurs clients :
- proposer des produits et services utiles, pratiques et facilement accessibles,
- simplifier la vie des clients, leur faire gagner du temps ou économiser de l’argent,
- résoudre leurs problèmes, répondre à leurs besoins
- leur procurer des émotions positives ou du bien-être
- … et les traiter de façon humaine et individualisée !
Il s’agit en fait pour les entreprises concernées, sur leur secteur et en fonction des spécificités de leur offre, d’identifier à chaque étape de leurs parcours client les points sur lesquels elles doivent améliorer l’expérience vécue par leurs clients.
Une fois les moments clés des parcours client identifiés sur l’ensemble des canaux utilisés, leur travail consistera à éliminer systématiquement tous les facteurs provoquant une expérience « déceptive » et à identifier tous les moyens à leur disposition pour générer de l’enchantement afin de les mettre en œuvre de façon systématique.
Nul doute que parmi ces moyens figureront des ingrédients largement présents chez Uber, Air BnB et Netflix, et qu’ils s’inspireront notamment des valeurs de l’économie collaborative !
Quelques exemples d’améliorations concrètes mises en place avec succès par des acteurs « traditionnels » sur leur secteur, et la tendance/valeur collaborative à laquelle elle se rattache :
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- proposer la location (parfois, longue durée) pour les produits coûteux à l’achat et d’un usage non quotidien -> valoriser l’usage plutôt que la possession
- développer une application mobile performante et disruptive qui simplifie concrètement le parcours des clients -> innover et s’appuyer sur la technologie pour réduire l’effort client
- mettre en place une plateforme collaborative d’échange d’avis, notes et conseils autour de l’utilisation de leurs produits -> avoir recours à la communauté de pairs pour trouver entre-aide et information
- inventer une relation client qui dépasse les attentes conscientes ou les habitudes des clients -> vivre des expériences plus riches, plus humaines, plus personnelles
En un mot, les entreprises vont devoir « s’uberiser » dans le bon sens du terme, c’est-à-dire mettre en œuvre l’ingrédient ultime qui explique réellement le succès d’Uber et de ses congénères : une expérience client au top !
Ne nous voilons pas la face, et comparons simplement 2 expériences vécues :
Expérience Client #1 : J’appelle une société de taxis depuis mon téléphone, après avoir cherché son numéro dans les pages jaunes. Après un temps d’attente plus ou moins long, une hôtesse m’indique qu’un taxi sera disponible sur mon secteur d’ici 10 à 15 minutes. Je patiente. Le taxi me prend en charge. Je dois régler le montant de la course en monnaie car il ne prend pas la carte. Il me délivre à la hâte un justificatif griffonné peu lisible sur un feuillet que je risque d’égarer.
Expérience Client #2 : J’identifie en quelques clics un véhicule proche de moi depuis mon smartphone, je visualise sur un plan sa progression vers moi en sachant exactement dans combien de minutes il sera à ma hauteur. Dans le véhicule, je dispose d’un chargeur pour mon portable, et on me propose un magazine. Le règlement s’effectue automatiquement par prélèvement sur mon compte à ma descente du véhicule et je reçois automatiquement une facture par e-mail. J’ai payé moins cher que pour un taxi.
Au-delà du prix (et des débats sociaux légitimement soulevés par le modèle économique adopté), ce qu’Uber propose avant tout, c’est une expérience « sans couture », simple, fluide, agréable et intuitive. Avec l’aide d’une technologie intelligente et fiable, et en s’appuyant sur la force de la communauté. C’est bien vu, et c’est aussi à votre portée, si vous le décidez ! Pour cela, il faut se glisser dans la peau du client, se projeter dans son parcours et « ouvrir le champs des possibles » pour lui proposer des solutions innovantes qui vont le surprendre et l’enchanter !
1 : voir la définition donnée par Rachel Botsman et Roo Rogers dans What’s mine is yours, the rise of collaborative consumption).